Un nouveau mécénat des Amis du Musée Boucher-de-Perthes
Lors de l'assemblée générale du 16 mars 2018, l'association des Amis du Musée Boucher-de-Perthes a offert au musée une paire de miniatures représentant deux vues du château de Bagatelle, situé à Abbeville.
Jean-Loup Leguay, historien de l'art, spécialiste de l'architecture française au siècle des Lumières, documentaliste au Musée de Picardie, a identifié le sujet des miniatures, la maison de plaisance de Bagatelle, sise dans le faubourg de Saint-Gilles, grâce à sa grande connaissance du patrimoine architectural local.
Il les a signalées au service patrimoine d'Abbeville comme des pièces rares qui compléteraient utilement les collections abbevilloises.
Ces miniatures présentent en effet, outre leur valeur esthétique, l'intérêt de montrer des éléments non visibles sur les autres représentations connues de Bagatelle.
Jean-Loup Leguay a publié une description exhaustive des deux petites gouaches dans La lettre de la miniature n°39, jv-fev 2017, du cabinet
d'expertises Lemoine-Bouchard Fine Arts.
Il a donné une conférence au musée d'Abbeville le 23 mars 2018 pour présenter les miniatures.
Nous reproduisons ci-dessous une grande partie de l'article et de ses illustrations avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Sommaire :
L’artiste : Louis Bélanger (Paris, 1756-Stockholm, 1816)
Issu d’une famille de marchands merciers parisiens, Louis Bélanger est un peintre paysagiste plutôt connu pour des aquarelles et des gouaches de grandes dimensions. Les miniatures de Bagatelle sont une rareté dans sa production.
Élève de Louis-Gabriel Moreau, dit l’Aîné (1740-1806), il se spécialisa comme ce dernier d’abord dans les paysages animés de petits personnages, représentant des sites naturels ou des architectures remarquables exécutés à la gouache en différents formats.
Grand voyageur, il visita la Suisse, l'Italie et vécut en Angleterre, où il se réfugia pendant la Révolution française, avant de s'installer définitivement en Suède en 1798. Membre de l'Académie des Beaux-Arts de Stockholm il devint peintre du roi Gustave IV.
Il est mort à Stockholm en 1816.
Nous ne connaissons pas de portrait de l'artiste.
En 1803, Bélanger produisit une série de peintures, gravées ensuite par Mérigot, pour un recueil paru sous le titre "Voyage pittoresque de la Suède".
Ci-dessus, une huile représentant un site du sud de la Suède, appartenant au Nationalmuseum de Stockholm qui conserve plusieurs peintures, aquarelles et gouaches de
l'artiste.
Le sujet : Le château de Bagatelle à Abbeville
D'après l'article cité "Deux vues inédites de Bagatelle", J-L Legay
"Ces précieuses miniatures sont les uniques vues du XVIIIe siècle (1787), identifiées à ce jour, de la maison de plaisance, appelée
Bagatelle, située au faubourg Saint-Gilles à Abbeville (Somme)".
C'était une mode depuis le début du XVIIIe siècle, de faire construire en un lieu discret, des petites maisons vouées aux plaisirs, parfois nommées "bagatelles" ou "folies".
Notons que le frère de Louis Bélanger, François-Joseph (1744-1818), fut l'architecte de la Bagatelle du bois de Boulogne, édifiée en 1777 pour le comte d’Artois. Louis réalisa de nombreuses vues de cette maison, dont celle ci-contre.
L'aquarelle ci-contre, appartenant au fonds Macqueron conservé à la Bibliothèque municipale d'Abbeville, est postérieure aux miniatures. Elle montre en plan serré la façade avant (côté cour) du bâtiment principal, sans en laisser voir l'environnement architectural.
Les miniatures par contre permettent de voir les bâtiments détruits au XIXe siècle, en particulier une ferme probablement en torchis.
Les miniatures de Louis Bélanger montrent l'état de Bagatelle en 1787. Le propriétaire en était alors André van Robais (1728 - 1806).
La vue, côté cour montre un bâtiment typique des «petites maisons de plaisance» des années 1750 avec son environnement paysager.
La façade de brique et pierre est animée d’un avant-corps central à trois pans coupés abritant un escalier à double volée qui donne accès à l’étage en attique, percé d’œils-de-bœuf circulaires inscrits dans des panneaux de pierre carrés.
Détail de façade/ Photo APictche / CC Wikimedia
Jean-Loup Leguay désigne sur son schéma les éléments visibles sur cette vue, réalisée un peu de biais, à droite par rapport à l'entrée.
Devant le château, une balustrade en pierre sépare la cour d’honneur, invisible ici, de la cour des communs.
A gauche, deux piliers couronnés de pots à feu signalent une porte charretière. Un des deux vantaux est ouvert, on en voit l'arrière avec ses pentures peintes en blanc.
On aperçoit aussi le haut des piliers d'une porte cochère, elle menait sans doute à la cour d’honneur depuis la grande rue du faubourg Saint-Gilles dont les arbres dépassent du mur d’enceinte en brique.
A droite une ferme, aujourd'hui disparue, était composée de deux bâtiments en équerre, couverts en tuiles plates contrastant avec les ardoises du logis principal.
La partie de face abritait peut-être la cuisine. Sa façade de brique et pierre est protégée par trois bornes chasse-roues.
Sur le côté droit, le bâtiment à façade jaune semble être une construction à pans de bois, recouverte de torchis, destinée à un usage agricole.
Entre le logis et l’aile des communs, une structure en pierre (une porte-fenêtre ?), encadrée de colonnes dont on devine les chapiteaux et surmontée d’un fronton sculpté, servait peut-être de passage entre l'office et la salle à manger.
A l'arrière de la propriété, à gauche, on discerne d'imposants bâtiments tout juste achevés en 1786 : deux casernes parallèles, de plus de 130 mètres de long et 15 mètres de haut, abritant au rez-de-chaussée des écuries, au-dessus les chambres des cavaliers, et de vastes greniers pour les fourrages.
Quelques détails animent la vue : une cheminée fume, trois personnages traversent la prairie, signes d'occupation de la résidence. De grands oiseaux volent vers la Baie Somme toute proche...
Détails des façades/ Photo APictche / CC Wikimedia
La vue, côté jardin montre la façade arrière ornée en son centre d'un avant-corps semi-circulaire abritant un salon ovale.
Le décor sculpté est presque le même sur les deux façades : guirlandes de feuilles de chêne, rubans, serviettes de pierre sculptées. Aux angles des deux avant-corps, des lions ornent le haut des pilastres.
Les jardins de Bagatelle au XVIIIe sont connus par des témoignages contemporains. Roland de la Platière Roland de la Platière, sous-inspecteur des Manufactures de Rouen, décrit en juin 1763 des espaces très variés : "niches, bosquets, petites allées couvertes, pièces d’eau, grandes et belles allées, enfin tout ce que l’art peut employer pour seconder la nature..."
Côté château, un espace largement dégagé était occupé par de grandes pelouses. La perspective était agrémentée par un grand bassin circulaire, animé d’une fontaine avec jet d’eau.
La vue de Bélanger montre des espaces dédiés à la promenade et à l’agrément.
Le peintre représente à la fois la vue vers le château mais aussi, grâce à un point de vue en perspective panoramique, la partie boisée. On aperçoit le croisement de deux allées rectilignes bordées de palissades de verdure bien taillées.
L'histoire du château de Bagatelle
La Bagatelle d'Abbeville a été construite pour Josse-Abraham van Robais (1724-1788), riche manufacturier de draps d'Abbeville.
Il fait d'abord édifier, sur un terrain à l'extérieur des fortifications de la ville, un simple pavillon de quatre pièces en rez-de-jardin destiné à recevoir ses clients importants.
Après 1763, cette construction fut transformée en maison d'habitation par l'ajout d'un étage abritant deux petits appartements surmontés d'une toiture "à la Mansart".
L'aspect extérieur du corps de logis n'a plus été modifié jusqu'à nos jours.
En 1793, six ans après la réalisation des miniatures, la propriété fut vendue à Pierre - Firmin Roze, grand-oncle paternel du futur préhistorien Jacques Boucher de Perthes. Puis en 1810, le domaine est acquis par la famille de Wailly qui la garda jusqu'en 1998.
Depuis, le château de Bagatelle a été restauré et peut être visité en été sous la conduite de l'actuel propriétaire. voir ici.
Le château a été inscrit à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1926, les jardins et le parc en 1946.
La "vie de château" à Bagatelle au XVIIIe
Riches commerçants, les van Robais étaient amateurs d'art et invitaient volontiers des gens de lettres et des artistes dans leur maison de plaisance.
Le pastelliste Jean - Baptiste Perronneau (1715 - 1783) réalisa un portrait de son hôte, Abraham van Robais (1698 - 1779), vu de face en 1769 (Louvre, cabinet des arts graphiques, RF 4146).
Les six putti en plomb, actuellement visibles dans le parc de l’hôtel d’Emonville à Abbeville, proviendraient de la série décorant le toit en terrasse du pavillon primitif.
Un texte du XVIIIe siècle, dû à Roland de la Platière, sous-inspecteur des Manufactures de Rouen, en juin 1763, décrit ainsi le bâtiment :
« Un peu au - delà de l’extrémité du faubourg opposé de la ville, un des Mrs de van Robais a une petite maison de campagne qu’on nomme Bagatelle. Le bâtiment est situé au fond d’un joli parterre, séparé du chemin par une grille en fer. La construction et la décoration de ce petit édifice sont des chefs-d’œuvre de délicatesse et d’élégance. Il n’y a que le rez - de - chaussée, composé d’une antichambre, d’un salon et d’une pièce à chaque bout. Le dessus est terrassé et couronné de dix à douze petites statues d’environ un pied et demi de haut, dont le travail, les attitudes et les sujets sont pleins de goût ».
A propos des réjouissances proposées à Bagatelle le poète Sedaine (1719-1797), écrivit en 1754 un opuscule dédicacé à : «Monsieur van R*** [… qui] vient de faire bâtir dans un faubourg d’Abbeville une maison de campagne à qui l’on a donné le nom de Bagatelle. Ce bijou (car c’en est un) joint l’agréable à l’utile […] c’est une merveille enfin !». « L’art moderne y parait si beau / Qu’il semble sortir des mains de la nature ».
Ce dithyrambe de 16 pages vante les plaisirs de la nature et l'agrément de la compagnie que l'on peut goûter en ces lieux.
Un autre témoignage de 1793 note que les Van Robais laissent au nouveau propriétaire une maison « meublée très agréablement, avec glaces, lustres et tout ce qui tient aux ameublements de l’aisance »
Contexte de création des miniatures
Nous ignorons à quelle occasion l’artiste réalisa ses deux miniatures.
M. Leguay fait l'hypothèse qu’elles auraient été commandées en 1787 à l'occasion du passage de la propriété aux mains d'André van Robais, probable auteur de la transformation de Bagatelle en pavillon d’habitation.
Les deux miniatures décoraient peut-être, à l’origine, une même boîte. Au XIXe siècle elles furent montées au recto et au verso d'une boîte en écaille. Désolidarisées à l'occasion d'une restauration, elles peuvent dorénavant être contemplées côte à côte.
(à gauche exemple de montage possible)
Les deux miniatures de Louis Bélanger ont la "saveur particulière de deux instantanés témoignant des derniers feux du Siècle des lumières, dont Bagatelle demeure toujours l’une des plus belles manifestations dans le domaine de l’architecture."
in article cité "Deux vues inédites de Bagatelle", J-L Legay
M. Legay est par ailleurs membre résidant de la société des Antiquaires de Picardie.
Vous trouverez ci-joint le bon de souscription pour le prochain volume des Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie consacré à l’ingénieur et architecte picard Jean Rousseau (1733-1801), très actif à Abbeville et à Amiens à la fin du Siècle des lumières. Nous avons déjà eu le plaisir d'entendre une conférence de l'historien à ce sujet au Carmel, maison du patrimoine. Vous pouvez le télécharger en cliquant ci-contre.
L’ouvrage pourra être acheminé jusqu’à Abbeville par l'intermédiaire du service patrimoine, le souscripteur qui fera ce choix sera exonéré des frais de port.