C'est au cours de l'assemblée générale du vendredi 16 mars 2018 que Patrick Absalon a dévoilé aux adhérents de l'association des Amis du Musée l’œuvre tout juste rentrée de l'atelier de restauration.
Un mécénat des Amis du Musée Boucher-de-Perthes.
Enfin !!!
"La Vierge aux cerises", œuvre de Pieter Coecke van Aelst, a repris place sur les murs du Musée Boucher-de-Perthes grâce à un mécénat des Amis du Musée. Depuis le 17 mars 2018, Abbevillois et visiteurs de passage peuvent admirer cette belle œuvre mise en valeur sur nos murs.
En 2008, notre Association s'était engagée à faire restaurer le tableau de l’école flamande, « La Vierge à l’enfant » dite aussi « Vierge aux cerises » ou « Madone aux cerises », alors attribuée à l’artiste anversois Joos van Cleve (vers 1485–1540).
Il a fallu presque 10 ans pour faire aboutir ce projet pourtant fort nécessaire comme vous pourrez le voir sur la fiche RMN reproduite ci-dessous !
10 ans d'efforts conjugués des conservateurs successifs et d'obstination des Amis du Musée.
La restauration a non seulement permis de consolider l’œuvre, d'en révéler la qualité et le raffinement, mais aussi de la rendre à son auteur Pieter Coecke van Aelst.
L’œuvre avait été déposée à Abbeville en 1896 par le musée de Cluny.
Comme le montre la notice RMN, jusqu'à ce qu'elle parte en restauration, elle était attribuée à Joos van Cleve (1485?-1540?), un artiste anversois redécouvert au XXe siècle. Il fait partie d’une génération de peintres du Nord fortement marqués par l’héritage des maîtres flamands mais ouverts aux influences de la Renaissance italienne.
Dans son œuvre initiale située entre 1525 et 1529, Van Cleve combinait des éléments nordiques et italiens. L’influence de Léonard de Vinci, très prégnante chez les peintres flamands du XVIe siècle*, s'y faisait sentir.
Il existe une trentaine de versions référencées de Madone aux cerises, mais aucune n'est vraiment attribuée au maître seul.
De fait, après examen, la Madone aux cerises d'Abbeville s'avère être une réplique ancienne, réalisée par Pieter Coecke van Aelst, probablement contemporaine de l’œuvre originale disparue de Van Cleve.
"Les surprises de la restauration de la Vierge aux cerises".
Lors de l'assemblée générale de 2016, Mme Agathe Jagerschmidt, conservateur du Musée, a fait le point sur l'avancée de la restauration de la Madone aux cerises, absente du Musée depuis déjà 8 ans. Sa conférence s'intitulait "La Vierge aux cerises ou les surprises d'une restauration".
Mme Jagerschmidt avait relancé le dossier de restauration en 2015 et suivait de très près les opérations. Elle s'attendait alors à une fin heureuse et proche (!) Le tableau devait retrouver sa place au milieu des chefs-d’œuvre du musée pour l'été 2016.
La restauration d'une œuvre étant l'occasion de l'étudier scientifiquement, la radiographie a révélé des dessins préparatoires et des repeints.
Cette étude approfondie a également permis aux experts d'attribuer ce panneau à Pieter Coecke van Aelst (1502-1550), peintre jusqu'ici méconnu, mais dont la valeur est désormais reconnue. Il fut probablement le maître de Pieter Brueghel.
La version d’Abbeville est intéressante car elle est de très bonne qualité, probablement contemporaine de l'original, et son traitement est plus marquée par la tradition du Nord que d'autres. Les formes sont nettement décrites, la précision du détail est remarquable.
Le peintre a ré-interprété le sujet, ajoutant, outre la pomme, présente aussi sur quelques autres versions, une jolie nature morte dans le goût flamand : beau verre transparent, poire, grappe de raisin translucide et le traditionnel couteau en biais marquant la profondeur de champ. "La pomme, placée à l’avant-plan, rappelle le péché originel, renforçant ainsi la symbolique des cerises, qui sont considérées comme des fruits du paradis." (Laure Fagnard, ibid). Notez qu'ici la pomme ne repose pas sur sa base mais roule au milieu des cerises.
Le décor de la pièce est particulièrement riche et les détails soignés, mur couvert de lambris sculptés de style renaissance, colonne et corniche décorées de rinceaux et de figures finement ciselés : grotesque et prophète. Cela dénote la diffusion des formes de la Renaissance italienne dans les anciens Pays-Bas. Toutefois le peintre les a adaptées à son goût.
Le paysage visible par la fenêtre est au contraire très sobre, comme pour concentrer l'attention sur la scène intérieure.
(cliquez au centre des photos pour les voir en grand)
Dans toutes les autres versions de "Vierge aux cerises" le Christ tient des cerises dans les mains. A Abbeville non, bien que le geste soit similaire, les mains semblaient vides.
La restauration fait réapparaître des traces rouges, malheureusement trop faibles pour permettre de restituer des cerises, Mme Jagerschmidt en accord avec la restauratrice considère que ce serait faire un faux que d'en repeindre. Il faudra donc bien ouvrir l’œil pour les remarquer...
Qui est l'auteur de la Vierge aux cerises ?
Pieter Coecke van Aelst, ou Pieter Coeck d'Alost, né le 14 août 1502 à Alost et mort le 6 décembre 1550 à Bruxelles, est un peintre et architecte-scénographe flamand, connu notamment pour son édition de Vitruve en néerlandais.
Il accomplit vraisemblablement un séjour en Italie entre 1521 et 1525 où il découvre les chefs-d'œuvre de l'Antiquité. À son retour en 1527, il s'installe à Anvers.
Devenu maître, il dirige plusieurs ateliers et acquiert une grande renommée : gravure, sculpture, scénographie pour le théâtre, peinture sur vitrail, dessins pour la tapisserie et la joaillerie.
Il forme de nombreux élèves dont Pieter Brueghel l'Ancien, qui épouse sa fille.
Quelques autres œuvres du maître.
En voir d'autres sur Photo.RMN ou sur the-athenaeum.org/art/list.
Il existe de très nombreuses versions de chaque œuvre, elles se trouvent dispersées dans différents musées.
Les péripéties d'une restauration
Lors de sa conférence en 2016, Agathe jagerschmidt décrivit les différentes étapes techniques de la restauration du panneau.
Longtemps visible dans les collections permanentes du musée, La Vierge aux cerises avait du être mise en réserve pour des raisons de conservation.
Stéphane Paccoud, conservateur du Musée de 2005 à 2007, repéra l'intérêt et la fragilité du panneau, composé de 2 planches de bois qui avaient joué. La couche picturale présentait d’importants soulèvements liés au jeu du bois. Une restauration s'imposait.
Des restaurations antérieures avaient cependant déjà été pratiquées : pose d'un taquet à l'arrière pour solidariser les planches, plusieurs refixages et un allègement de vernis un peu trop vigoureux...
En 2010, l'Association des Amis du Musée accepta de prendre en charge une nouvelle restauration. Il était alors prévu un refixage des soulèvements, un nettoyage et un allègement du vernis. Les premiers devis estimaient le coût de l’opération à 3.950€.
Des problèmes apparus lors du démontage du cadre et un examen plus approfondi de l'état de la pièce ont entraîné l'établissement de nouveaux devis. Divers aléas ont entravé l'avancée des opérations jusqu'à ce jour, retards administratifs, navettes entre ateliers, plusieurs corps de métier étant impliqués... Les années passant, l'estimation initiale fut largement dépassée.
Les dernières étapes prévues en 2016 étaient la suppression des repeints, le dégagement du vernis de 1964 et la pose d'un vernis "nouvelle génération" qui vieillira mieux.
Quand on crut l'affaire bouclée, se posa le problème du cadre. Fabriqué dans un bois différent de celui du panneau, le cadre d'origine n'avait pas joué de même façon, il le comprimait trop et était la cause de certaines cassures. Il ne pouvait pas être reposé. Sur proposition de la présidente, le conseil d'administration de l'association des Amis du Musée décida de prendre également en charge financièrement la fabrication d’un cadre neuf à l'identique pour finaliser l’action engagée sur La Vierge aux cerises. Cela retarda encore d'un an le retour de l’œuvre.
L'association remercie particulièrement Agathe Jagerschmidt, dont les efficaces interventions et la ténacité ont permis de surmonter les dernières difficultés administratives et techniques.
Nous remercions aussi les donateurs qui ont répondu à la souscription lancée au début du projet, leurs dons ont contibué à rendre sa beauté à cette œuvre raffinée et de valeur.
Merci aussi à tous nos fidèles Amis du Musée dont les cotisations, d'année en année, permettent à l'Association d'enrichir et préserver le patrimoine abbevillois.
La tradition des Vierges aux cerises
Extraits de l'article de Laure Fagnard,
"La Vierge aux cerises :
une invention léonardesque dans la peinture anversoise de la première moitié du XVI e siècle".
"La peinture flamande de la première moitié du XVIe siècle compte d’innombrables tableaux montrant une Vierge à l’Enfant avec des cerises dans les mains, dans un intérieur bourgeois.
La plupart de ces œuvres sont associées à la production de Joos van Cleve. [...]
Aucun des tableaux qui nous sont parvenus n’est toutefois entièrement autographe : même les meilleures versions – comme celle conservée à Aix-la-Chapelle (fig. 1) ou celle de la collection new- yorkaise Hester Diamond (fig. 2) – ne peuvent être attribuées à Joos van Cleve seul, notamment en raison du modelé des chairs, dur et comparable à de l’émail, qui trahit la participation de l’atelier.[...]
Le style des versions subsistantes d’une part, les analyses dendrochronologiques d'autre part [...] permettent de considérer que les exemplaires de meilleure qualité ont été réalisés aux environs de 1525.
[Le modèle initial pourrait être] "une peinture de Giovanni Pedrini, dit Giampietrino, l’un des élèves de Léonard [...] Le Christ y est montré assis sur un coussin vert, posé sur les genoux de sa mère. Dans ses deux mains, il tient des cerises. Tandis que son visage, son regard mais aussi ses genoux sont tournés vers la Vierge, son buste et ses bras sont dirigés dans la direction inverse. Une telle attitude ne pouvait que séduire les artistes maniéristes, notamment les peintres flamands.
Les deux protagonistes sont dépeints dans une pièce qui s’ouvre vers l’extérieur grâce à une fenêtre, à travers laquelle on aperçoit un paysage brumeux. [...]
Les Flamands donneront à la chambre un aspect plus orné[...]. Parfois, une pomme, placée à l’avant-plan, rappelle le péché originel, renforçant ainsi la symbolique des cerises, qui sont considérées comme des fruits du paradis.
"La Vierge aux cerises de Giampietrino remonte très probablement à un modèle vincien. En effet, la position du
Christ, qui se tourne donc vers sa mère alors que son corps est placé dans la direction inverse, reflète une idée que Léonard exprime dans des dessins réalisés en vue de la Vierge au
chat [...]
Le contrapposto qui, chez Léonard, se justifiait par la présence de l’animal cherchant à s’enfuir des bras de Jésus, devient, dans les
œuvres de ses élèves et suiveurs, un pur motif formel qui connaîtra un grand succès [...]
Des dessins de Léonard et de ses émules [...] ont largement circulé au nord des Alpes... [Il est probable que] le dessin de Windsor, sur lequel apparaît le motif de la Vierge au chat, à l’origine de la Vierge aux cerises, a été conservé dans les anciens Pays-Bas et qu’il a fourni une inépuisable source d’inspiration aux peintres flamands du début du XVI e siècle [...] "
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