Une nouvelle formule d'"Œuvres du mois" est inaugurée en décembre 2017 par Patrick Absalon, nouveau directeur du musée depuis septembre.
M. Absalon annonce qu'il proposera une œuvre entourée d'une mini-exposition qui restera en place 2 mois.
En alternance, tous les deux mois, il animera une série d'échanges plus informels, dits "Palabres à bâton rompu", sur des thèmes divers. Pour exemple, le premier de ces palabres sera intitulé : "We can be Heroes, just for one day (à chacun son heure de gloire)".
Un accrochage inédit,
du 6 décembre 2017 au 29 janvier 2018
Tous les jours sauf le mardi et jours fériés, 14 h à 18 h.
Une visite conférence a eu lieu le vendredi 15 décembre à 18 h. Le conférencier a conquis son auditoire par son érudition et son humour.
Pour sa première prestation, Patrick Absalon a choisi de nous parler de Saint Georges "belle monture", un mégalomartyr, c'est à dire un martyr ayant subi plusieurs supplices. Il a miraculeusement réchappé aux pires tortures (le feu, l'eau bouillante, la roue...) avant de mourir enfin décapité. La légende le dit originaire de Lydda (Lod en Israël), il aurait vécu au IIIe siècle.
Très féru de mythes et amateur de dragons, auteur de livres sur le sujet, M. Absalon a fait connaissance avec l'œuvre abbevilloise en travaillant pour l'exposition
L'Homme, le Dragon et la Mort,
au "MAC’S - Site du Grand Hornu", un des grands musées de Mons*, capitale de la culture en 2015. En effet notre statue de Saint Georges a été restaurée pour cette exposition où elle a figuré en bonne place.
(voir compte rendu de l'exposition sur le site Narthex)
Parmi les héros tueurs de dragon, Saint Georges est l'un des plus anciens et des plus célèbres. Son histoire est riche d'images et de récits, le plus connu étant celui de Jacques de Voragine dans La légende dorée, vers 1263.
voir la légende sur mythologica.fr. - ou sur Wikipédia.
Georges, officier romain, traverse Trébizonde, contrée terrorisée par un dragon exigeant un tribut quotidien de jeunes gens à dévorer ; le sort, ce jour-là, désigne la fille du roi de Silène. Georges, au nom du Christ, transperce le monstre de sa lance et délivre la princesse.
Il ne profite pas de sa victoire pour s'approprier la princesse ni le royaume, contrairement à Persée qui ne délivre Andromède que contre la promesse d'une récompense. Très chrétiennement, le héros remet la bête blessée en laisse à la princesse, promettant de la tuer lorsque toute la population de la ville se sera fait baptiser...
* Le combat (dit Lumeçon) de saint Georges et du dragon a lieu chaque année sur la Grand'place de Mons, le dimanche de la Trinité. Il est précédé par une procession dont l'origine remonte au XIVe siècle. La ducasse de Mons est reconnue comme chef-d'œuvre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO (Géants et dragons processionnels de Belgique et de France)
Le Saint Georges du musée est une statue en bois montrant des restes de polychromie, bien refixés lors de la récente restauration. D'après sa silhouette allongée, sa posture élégante, légèrement déhanchée, il peut être considéré comme venant d'Allemagne du Sud et daté de la deuxième moitié du XVe siècle.
Haut de 1,86m, le personnage n'est ici pas présenté à cheval.
L’œuvre nous vient du legs de Jean-Antoine Vayson. On la voit ci-contre chez le collectionneur (avant 1913), elle avait été complétée d'une auréole et d'un bouclier qui ont été supprimés lors de son installation dans l'ancien "Musée d'Abbeville et du Ponthieu" (-Hôtel d'Emonville- photo de 1931). Par contre, le dragon porte encore une queue en tire-bouchon, aujourd'hui déposée.
Actuellement Saint Georges est exposé dans la grande salle du Musée Boucher-de-Perthes, non loin de la statue d'une "Sainte agenouillée", sculpture picarde de la première moitié du XVe siècle qui pourrait bien représenter la princesse de Trébizonde, envoyée à la mort parée de ses plus beaux atours, telle qu'évoquée dans la légende dorée. Sa posture est la même que, par exemple, sur le tableau de Raphaël reproduit plus bas.
Le culte de Saint Georges
La popularité du saint, dans la culture savante comme dans la culture populaire, est sans égale. Son culte s'est développé plus particulièrement en Europe, au retour des croisades. Il devient saint patron des chevaliers chrétiens, ce qui explique qu'il soit généralement représenté en armure et à cheval.
L'aquarelle ci-contre, conservée à la Bibliothèque municipale a été réalisée par Oswald Maqueron, "d'après nature", dans la collégiale Saint-Vulfran d'Abbeville le 2 août 1861. Cette statue de procession en cuivre argenté montrant Saint Georges à cheval appartenait à la collégiale, elle en a disparu à une date inconnue.
La renommée de Georges s’est répandue dans toutes les parties du monde occidental. Emblème de pays et régions d’Europe comme l’Angleterre, le Portugal, la Catalogne et l’Aragon, il est également le saint patron de corporations, d’ordres divers et de nombreuses villes européennes. Le musée présente un livre dont l'illustration (xylographie de Le Chevallier, 1944) le montre patron des soldats et des scouts.
Saint Georges assume de nombreuses symboliques.
Étymologiquement le nom Georges vient du grec ancien γεώργος / geôrgos, «agriculteur» (Gé = la terre). Il est celui qui est en contact avec la terre. Son culte est célébré au printemps, le 23 avril.
Le monde souterrain est réputé dangereux, il peut en surgir des monstres, des forces maléfiques enfouies. Saint Georges est capable de terrasser un dragon donc de les maîtriser.
Le combat victorieux contre le dragon est une allégorie de la victoire de la foi chrétienne sur le démon mais aussi de tout combat de l’homme contre des forces hostiles, voire "de l’homme contre lui-même dans l’affirmation de son destin".
Ses représentations prennent de multiples formes, statues, bas reliefs, tableaux, gravures, vitraux... et sont présentes dans la plupart des musées et églises.
Les plus grands artistes ont traité le thème. Leurs œuvres s'inspirent généralement de l'épisode du combat contre le dragon pour sauver la princesse et la ville de Silène. Il en est ainsi dans le tableau de Raphaël, conservé à Washington.
Plus rarement, comme dans un paysage de Rubens, l'artiste choisit le moment où le héros remet la laisse de la bête blessée à la princesse. Jean-Charles Le Vasseur (1734-1816), graveur abbevillois, a repris le tableau de Rubens, peint vers 1630, conservé au château de Windsor. Saint-Georges y est représenté sous les traits du roi Charles Premier d'Angleterre.
La figure du dragon
La représentation du dragon surprend toujours les visiteurs qui s'attendent à voir un monstre effrayant, aux dimensions imposantes.
Aux pieds de Saint Georges, comme sur beaucoup de représentations anciennes, l'animal ressemble à un chien. Après les croisades, il fut représenté comme une espèce de crocodile. Les croisés avaient découvert cet animal au cours de leur périple et en rapportèrent même des têtes pour prouver que les dragons existaient.
M. Absalon nous rappelle que notre représentation mentale actuelle des dragons s'est forgée au XIXe siècle, à la suite des découvertes de fossiles d'animaux "antédiluviens"... les dinosaures. Un exemple éclairant de cette interprétation est le tableau de Jules-Claude Ziegler (1804-1856) visible dans la cathédrale Notre-Dame de Saint-Omer (voir sur culture.gouv), le dragon y prend l'aspect d'un iguanodon, premier dinosaure décrit en 1825 par Mandel (dessin wikipédia)
Au Moyen Age et à la Renaissance, le dragon est une figure symbolique, il n'est pas nécessaire qu'il soit "réaliste". Quelques dents ou griffes surdimensionnées, des écailles ou une queue serpentine suffisent à évoquer le diable et provoquer l'effroi chez les croyants. Sa taille modeste montre que, malgré la peur qu'il inspire, il est finalement vaincu par le saint.
Au contraire, la taille plus importante du saint exprime sa supériorité. Comme dans toute représentation religieuse ancienne, la personne divine ou sainte est représentée plus grande que les autres protagonistes de la scène, proportionnellement à son importance.
Au cours de la conférence nous en avons vu de nombreux exemples. Entre autres, ici à gauche, pour la même époque que celle de notre saint, une statue équestre de bois (également présentée à l'exposition du MAC's 2015) haute de 77,5 cm, œuvre de Tilman Riemenschneider conservée au musée Bode de Berlin. Ou le Saint Georges, grandeur nature, Ulm 1496-1499, conservé au Liebieghaus, Frankfurt am Main.
Témoin de la force symbolique intacte du dragon jusqu'au XXe siècle, la Une du Petit Journal illustré du 20 septembre 1914 où l'ennemi allemand est présenté en dragon que les héroïques alliés doivent combattre.
Un autre "dragon" est visible au Musée d'Abbeville, une chimère aux pieds de "Sainte Marguerite issant [sortant] du dragon".
Saint-Michel archange est aussi un pourfendeur de dragon, comme on peut le voir à gauche sur cet étonnant petit tableau de Raphaël. Avec lui pourtant, comme c'est le cas à Abbeville, le mal prend souvent la forme d'un diable plutôt que d'un dragon, évidemment terrassé, plus petit que son vainqueur.
Saint-Georges et le dragon continuent à inspirer artistes et amateurs de symboles. De très nombreux exemples en ont été proposés chronologiquement au cours de l'exposé.
Citons au XXe siècle, le tableau atypique de Briton Rivière, Musée des Beaux arts de Montréal, présenté par le conférencier comme un hapax, c'est à dire l'unique représentation d'un Saint Georges épuisé, peut-être mort, comme son cheval tombé sous le monstre, très éloigné de la traditionnelle attitude triomphante ....
La confusion avec le mythe de Persée et Angélique amène parfois les artistes à donner une représentation érotisée à la scène. C'est le cas par exemple dans cette gravure de 1924 par Honoré Broutelle (1866-1929).
Autre exemple avec cette toile expressionniste du peintre américain Bob Thompson (1937-1966), datée de 1961. Thompson était, nous dit la notice biographique, "inspiré par la dichotomie du bien et du mal"...