Après l’intéressante visite matinale de l'exposition Speedy Graphito au musée, nous avons déjeuné à L'Escale, restaurant de l'aéroport du Touquet, belle salle avec vue sur l'estuaire de la Canche.
La visite guidée de l’architecture balnéaire s'est faite sous la conduite de Loïc Vambre, responsable du service groupes de l’office de tourisme du Touquet. Connaissant à fond sa ville et d'une grande générosité, il nous a révélé bien des beautés et des secrets de la station.
L'aéroport du Touquet
Dès 1936, un aérodrome en bordure de Canche accueillait la riche clientèle anglaise qui venait en villégiature au Touquet Paris-Plage. Auparavant, les touristes aisés devaient atterrir à Berck-Merlimont. Au cours du circuit historique, notre guide nous raconta que certains n'hésitaient pas à faire remorquer leur avion de Berck jusqu'au Touquet pour le garer devant leur hôtel.
En savoir plus sur l'aéroport international du Touquet.
La visite historique du TOUQUET PARIS-PLAGE
Création de la station, début du XIXe siècle,
Le circuit historique démarre devant le Palais des Congrès, c'est là que la station est née ex-nihilo il y a à peine plus d'un siècle.
Avant 1837, "Le Touquet", dérivé d'un mot picard signifiant "tournant", était simplement le nom donné à un coude de la côte. Ce lieu aride occupé par des dunes de sable peuplées de lapins faisait partie de la commune de Cucq. Les terrains étaient propriété d’État depuis leur confiscation aux moines de l'abbaye de Saint-Josse.
En 1837, l’État vend les 1600 ha du domaine à Alphonse Jean-Baptiste Daloz, notaire parisien, qui pense les exploiter en y implantant des cultures et des bois.
A cause du sable et des lapins une forêt de pins s'installe à grand peine. Le "château" que Daloz s'est fait bâtir en 1864 sert surtout de lieu de villégiature et de rendez-vous de chasse où il accueille ses relations.
Un de ses amis, appréciant le lieu, lui conseille de lotir les terrains les plus proches de la mer afin de lancer une station balnéaire sous le nom attractif de Paris-Plage. Les premiers lots sont vendus en 1882.
Les riches Anglais fréquentent très tôt le Touquet et, sous leur impulsion, le "Touquet Syndicate Limited" est créé en 1894. Dès lors le domaine urbanisé s'étend entre bord de mer et forêt sur un plan en damier.
Après la mort de Daloz en 1895, l'ensemble du domaine est vendu. L'ancien château très modifié devient Palais des congrès. Aujourd'hui, entre autres usages, il abrite l'office de tourisme. En 1913 on y ajoute le Casino de la Forêt.
La prospérité du Touquet est rapidement telle que les habitants décident de se séparer de Cucq. La commune est officiellement créée sous le nom de Le Touquet-Paris-Plage en 1912.
La forêt est lotie à son tour, de magnifiques villas sont bâties sur de grandes parcelles. Parmi lesquelles la villa Way Side, 1925, qui abrite désormais le musée visité ce matin (voir le compte rendu).
Pour tout connaître de l'histoire du Touquet et de ses monuments historiques, voir site letouquet-museevirtuel.
L'Hermitage, premier grand hôtel de la station, édifié face au Palais des Congrès, 1904.
En savoir plus sur l'hôtel L'Hermitage.
Au début du XXe siècle, Le Touquet-Paris-Plage est une station mondaine, fréquentée surtout par l'aristocratie britannique mais aussi par des célébrités internationales.
Pour accueillir cette riche clientèle, de nombreux hôtels de très haut standing sont édifiés.
Face au Palais des Congrès, L'hôtel Hermitage, s'élève dès 1904 à l’emplacement des écuries du Château Daloz. D'abord en bois, il est reconstruit en style Louis XVI en 1910 et devient l’un des plus beaux hôtels d’Europe, le palace préféré de la noblesse comme le futur roi d'Angleterre Edouard VIII. Des célébrités internationales font sa prospérité pendant les Années Folles. Modernisé en 1930 par l’architecte Hoyez, le palace ne survit pas à la seconde guerre mondiale et ferme en 1945.
Derrière les magnifiques façades préservées, les murs abritent désormais des galeries marchandes au rez-de-chaussée et des appartements de standing dans les étages.
L'avenue du Verger
Nous quittons la place de l'Hermitage pour l'avenue du Verger où se situe l'hôtel Westminster,
Entre les hôtels Hermitage et Westminster, l'avenue du Verger s'urbanise rapidement et présente dès 1927 un alignement de boutiques chics de style Art nouveau dues à l'architecte Léon Hoyez. Les façades blanches, les loggias et les toits plats évoquent une rue méditerranéenne. Cette avenue, surnommée «les Champs Elysées touquettois» était autrefois recouverte d’un tapis rouge sur lequel la noblesse pouvait s’afficher.
Au milieu de l'alignement de boutiques, un bassin surmonté d'une statue de naïade sculptée par Lucien Gibert en 1955, rappelle une époque où Le Touquet se voulait aussi station thermale. Ici se trouvait un kiosque où l'on venait boire de l'eau minérale de la source Valroy puisée à Rombly ; celle-ci approvisionne toujours la ville en eau potable.
L'hôtel Westminster est bâti de 1924 à 1926, selon les plans de l’architecte Auguste Bluysen. L'hôtel a pris ce nom en hommage à la duchesse de Westminster qui séjourna souvent au Touquet pendant la première guerre mondiale. La duchesse visitait les blessés des hôpitaux militaires du Touquet, installé dans le casino, et d'Étaples où pouvaient être hébergés jusqu'à 100 000 soldats du Commonwealth.
La façade actuelle du Westminster, longue de 130m, a un aspect typiquement anglais avec ses briques roses, ses parements horizontaux de pierre blanche et ses bow-windows qui rythment régulièrement la façade.
Durant les années 1930, ce palace reçut des clients de marque, on y vit même des Maharajahs... Bombardé en 1944, il ré-ouvre en 1946. Depuis la guerre s'y sont succédé des acteurs, des sportifs, des hommes d'affaires et de nombreux touristes... A l'intérieur de l'hôtel une galerie de portraits dédicacés des célébrités descendues au Westminster témoigne du haut standing de l'établissement.
La partie gauche du bâtiment est toujours hôtel 4 étoiles, la partie droite est divisée en appartements privés.
En savoir plus sur le village suisse.
En savoir plus sur les monuments historiques classés du Touquet.
Le début de la rue Saint-Jean
Nous nous engageons dans la rue Saint-Jean aménagée en 1905 pour relier les grands hôtels à la mer.
Sur notre gauche s'élève le "Village suisse", ensemble de trois villas édifiées en 1906 qui doit son nom à la villa centrale en forme de chalet : la villa "Bien faire et laisser dire" de l'architecte Bertrand.
La plus surprenante est la première, dite "villa d’Airain pour résister", de style néo-médiéval avec sa tour crénelée et son échauguette.
La troisième, 'l'Alsacienne", est de l'architecte Eugène Kessler.
Les commerces au rez-de-chaussée occupent les anciennes écuries.
Au carrefour avec le boulevard Daloz, nous quittons la rue Saint-Jean pour découvrir les principaux monuments historiques classés, bâtiments publics et villas privées, conçus par les différents architectes qui ont participé à la construction de la cité.
A l'angle du boulevard Daloz avec la rue Saint-Jean, vers la gauche, s'élève un ensemble de villas typiques de l'architecture balnéaire début XXe siècle.
Des villas d'architectes :
Au 45 bis boulevard Daloz, s'élève la villa "Roi d'Ys", de l'architecte Anatole Bienaimé en 1903. Elle présente une architecture normande typique avec ses colombages, son appareil de pierres de Marquise et de briques, ses toits élancés et ses épis de faîtage. C'est l'une des nombreuses villas inscrites à l'inventaire général du patrimoine culturel.
Au 78 bd Daloz, la villa "Les Mutins", de style moderne, a été conçue en 1925 par l'architecte Louis Quételart, un des architectes les plus actifs au Touquet. Les deux pignons accolés, caractéristiques du style Quételart, forment un M, logo de son cabinet. Façades et toitures sont classées, les murs sont bleus comme à l'origine.
Voir sur le site letouquet-muséevirtuel.com la liste des 31 sites remarquables et 20 édifices inscrits.
L'Hôtel de la poste :
Remontant la rue de Saint-Amand vers la mer, nous arrivons sur la place de la Poste érigée en 1927 à l'emplacement de la première église du Touquet dont l'architecte Jean Boissel a voulu évoquer le souvenir. "La fantaisie architecturale d'un clocheton rehaussant la toiture de la partie centrale du bâtiment, la forme de la toiture haute et pentue, ainsi que le fronton monumental au-dessus de l'entrée, surmontant un ensemble de vitraux" sont autant de rappels de la vieille église. Le décor Art Déco agrémente le style régional. La pierre utilisée ici vient de Baincthun, un village du Pas-de-Calais.
Un peu plus loin, nous nous arrêtons devant le mur de la médiathèque où s'affiche la fresque de Speedy Graphito inaugurée en octobre 2016.
Le guide nous signale la villa "Le quart d'heure" édifiée en 1925 par l'architecte Horace Pouillet. Originale par son implantation qui lui permettait de jouir de l'ensoleillement et de la vue sur mer au moment du couchant. Remarquez le poteau-totem en façade, il est la marque de fabrique de cet architecte touquettois.
A l'angle de la rue de la Paix et du boulevard Jules-Pouget, face à la mer, se trouve l'ensemble de villas "Saint-Augustin, Thalassa, Phébus, Borée", construites entre 1894 et 1897 par l'architecte Ladislas Casiorowski. Photo ci-contre.
Endommagé en 1940 par un obus mais réparé à l'identique en façade, cet ensemble "d'une imposante architecture caractéristique de la fin du 19e siècle" est la plus ancienne maison en dur du Touquet, édifié en pierre de Marquise. Avant cette date, toutes les maisons étaient en bois.
Le front de mer
A droite de la villa Saint-Augustin, subsistent quelques petites villas individuelles, sauvegardées à grand peine contre les promoteurs des grands ensembles d'immeubles devant répondre à la demande du tourisme balnéaire de masse après 1950 et surtout dans les années 1970.
Les trois villas blanches, "La Vigie" et ses voisines, datent de 1920. Avant cette date déjà, une rangée de villas regardait la mer. La digue promenade
longeant la plage a été aménagée dans sa configuration actuelle en 1920.
Notre guide nous montre des photos d'époque avec en particulier une célèbre piscine au plongeoir spectaculaire. Construite en 1931, elle fut la plus grande piscine d'Europe d'avant-guerre.
Sur l'aménagement du front de mer, voir la digue Ridoux (à l'autre extrémité de la plage) et Les résidences du front de mer bâties dans les années 1970.
En savoir plus sur la piscine.
A peine un regard vers la mer et déjà nous repartons par la rue Jean Monnet à la recherche des villas et monuments classés de la station.
Aujourd'hui à l'ombre des immeubles du front de mer, nous trouvons les villas jumelées "Lydéric et Phinaert". Portant les noms de deux géants de Lille, elles furent construites au début du XXe siècle par l'architecte Anatole Bienaimé dans le style anglo-normand, avec un décor de frises en céramique colorée art déco.
Plus loin dans le même style, les villas 'L'Islandais" et "La Pimpolaise", mais aussi des villas individuelles de différents styles comme la villa "Mittycoco", datée de 1920.
Le marché couvert :
Au croisement des rues de Metz et Jean Monnet, à l'emplacement de l'ancienne Place de la Demi-Lune, le marché couvert est construit de 1927 à 1932. L'architecte Henri Léon Bloch l'a conçu en demi-cercle, sa façade présente une série d'arcs plein cintre, l'arche centrale est évidée pour enjamber la rue Jean Monnet et ménager les deux perspectives : l'une vers la mer, l'autre vers le jardin d'Ypres. A l'intérieur on peut voir une remarquable charpente en coque de bateau retourné.
Entre le marché et l'hôtel de ville, se trouve la Villa "Le Castel", actuellement en rénovation. Cette villa, bâtie en 1904 par l'architecte Henri Valette, fut la première construite dans la Grande Rue, ancien nom de la rue Jean-Monnet. La villa le Castel, est un rare exemple du style néo-médiéval qui eut du succès dans les premiers temps du Touquet.
L'Hôtel de ville :
L'imposant hôtel de ville a été construit sur le boulevard Daloz entre 1929 et 1931. Cette période faste d'entre deux guerres poussait à l'optimisme, les taxes prélevées sur une seule année de bénéfices du casino suffirent à payer les travaux de l'immense bâtiment dessiné par les architectes Louis Debrouwer (concepteur de l'hôtel de ville de Calais) et Pierre Drobecq.
Les édiles voulaient un bâtiment public prestigieux qui se démarque nettement des villas alentours. L'inauguration de l'hôtel de ville eut lieu le 27 juin 1931, date des fêtes franco-britanniques, en présence de personnalités anglaises.
Son style, des plus éclectiques, emprunte aux styles normand, néo-gothique anglais, renaissance, baroque... le fronton de l'entrée et le beffroi, haut de 38m, rappellent ceux de Flandre.
Les matériaux employés sont aussi variés, briques, pierre de la région boulonnaise, mais aussi du béton qui se dégrade et pose problème actuellement. Le beffroi et son clocheton, que nous avons vus emballés dans un filet de protection, sont gravement en danger : "ce joyau architectural construit en 1931 est principalement fait de béton et l’enrobage (c’est à dire la distance entre le bord et l’acier) est insuffisant. Ajoutez à cela des éléments météorologiques hostiles au béton, le sel et l’humidité, et vous avez des fers apparents de partout !..." Lire la suite sur Les échos du Touquet.fr
L'église Sainte-Jeanne-d'Arc
Face à l'hôtel de ville, au coin du boulevard Daloz et de la rue de la Paix, s'élève l'église Jeanne-d'Arc bâtie en 1910 sur les plans de l'architecte Lucien Viraut. Elle fut ouverte au culte dès 1911 en remplacement de la chapelle Saint-André qui, malgré plusieurs agrandissements, ne suffisait plus à l'afflux de paroissiens.
C'est la première église consacrée à Jeanne d'Arc en France, sur proposition de catholiques anglaises en repentance de l'exécution de l'héroïne. Appelée dès 1910 Église Jeanne d'Arc, ce n'est qu'en 1920, lorsque Jeanne fut canonisée, que l'église prit le nom d’Église Sainte-Jeanne d'Arc"
Ruinée par les bombardement de juin 1944, elle bénéficia d'une reconstruction bien menée et rouvrit en 1950. L'intérieur mérite la visite mais le temps nous a manqué.
Le jardin d'Ypres
Le jardin d'Ypres était le parc public du Touquet, aménagé dès 1905.
Son nom actuel lui fut octroyé en 1935, en l'honneur des réfugiés belges de la ville d'Ypres hébergés au Touquet durant la première guerre mondiale.
Dès août 1914, de nombreux Belges et quelques Français fuirent l'invasion allemande. On estime que 6000 réfugiés furent accueillis dans les hôtels. Les autorités et la population firent montre d'une solidarité exceptionnelle. Une plaque commémorative inaugurée le 30 juin 1935 marque le souvenir historique de l'accueil bien organisé durant les temps difficiles de la guerre.
Dans la rue de la Paix, nous apprécions encore l'architecture originale de quelques villas, dont la "Villa Tata Ice", construite en 1925 par Horace Pouillet. Comme la Villa "Le quart d'heure" et beaucoup d'autres de cet architecte, l'allure est très originale mais avec la particularité supplémentaire d'une "esthétique anthropomorphe".
Voir la liste des monuments historiques et des villas classées du Touquet sur le site actuacity.com/le-touquet-paris-plage.
Notre parcours se termine devant le Palais de Congrès. Avant de nous quitter, Loïc Vambre nous raconte une dernière histoire qui prouve bien l'extraordinaire succès mondain et international que connut la station jusqu'au milieu du XXe siècle.
Il nous désigne non loin le lycée hôtelier du Touquet, une tour composée de 11 plateaux en forme d’étoiles, évoquant une pomme de pin, l'arbre symbole de la forêt de Paris-Plage. C'est une œuvre de l'architecte, Pierre-André Dufetel, grand prix de Rome, installée sur le site du Royal Picardy depuis 1972.
Jusqu'en 1968, en effet, s'érigeait à cet endroit un des plus fastueux hôtels du monde : l'hôtel "Royal Picardy", ouvert en 1930. Un gigantesque établissement proposant 500 chambres, 120 salons, une piscine... un véritable palais des mille et une nuits où se retrouvaient les riches clients du monde entier, surtout des britanniques.
Durant la seconde guerre, le palace devient quartier général de la Wehrmacht, Hitler lui-même y séjourna secrètement. C'est pourquoi fut la cible des bombardements alliés en juin 1944.
Trop abimé par la guerre, dépassé par les changements sociétaux, ne correspondant pas aux besoins de nouveaux clients beaucoup moins fortunés, le Royal Picardy fut démoli en 1968.
En savoir plus sur le Lycée hôtelier et le Royal Picardy.
Comme prévu, le long du parcours, nous avons remarqué les petits panneaux de béton collés par l'artiste de rue Kaï. En voici trois exemples. Vous trouverez une notice sur Kaï et la liste des stèles sur letouquet-museevirtuel.com.