jeudi 8 décembre, 18h au musée
Conférence "Objet du mois"
L’œuvre du mois de décembre a mis en lumière
Les albâtres de Nottingham
ou la production en série au Moyen Age
La conférence était confiée à Laetitia Barragué-Zouita, conservateur au Palais des Beaux-Arts de Lille
illustration : Relief en albâtre, Angleterre, autour de Nottingham,
Assomption,deuxième moitié du XVe siècle Albâtre
Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville
Laetitia Barragué-Zouita présente le sujet en rappelant les qualités particulières de l'albâtre extrait en Angleterre.
Il s'agit d'un albâtre gypseux, très tendre lors de l'extraction, ce qui permet de le sculpter de façon très détaillée avec facilité. Puis il durcit à l'air et peut se polir au point de ressembler à du marbre.
Ces avantages lui valurent un très grand succès. Il a par contre un grave défaut, il est soluble dans l'eau ce qui provoqua, entre autres aléas de conservation, les dégradations sur plusieurs pièces de la collection d'albâtres du musée.
Le musée d'Abbeville conserve 9 fragments de retable dont un martyre de Saint Laurent assez rare et heureusement en bon état. Un ancien inventaire en compte un dixième, Dieu le père portant le Christ en croix, non exposé à ce jour.
Retable de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, fin XV-début XVIème siècle, musée Antoine Vivenel (Compiègne) / in La sculpture d’albâtre en Angleterre : XIV-XVIème siècle
Les albâtres de Nottingham
L'extraction de l'albâtre gypseux anglais est géographiquement limitée aux Midlands, notamment autour de Nottingham.
Les lieux où il se travaille se répartissent dans une aire plus vaste, les meilleurs ateliers se trouvant à Londres. Mais les objets fabriqués en séries presque identiques portent le nom générique d'albâtres de Nottingham faute de pouvoir leur attribuer un atelier.
Au début du XIVe siècle l'albâtre servait à réaliser des tombeaux ou de grandes sculptures.
A partir de 1340 environ, la production de statuettes et de petits reliefs à sujets religieux, peints et dorés, pouvant s'assembler en retable, se développe énormément. Les plus anciens reliefs qui nous soient parvenus datent de la fin du XIVe siècle.
Vers 1550, la Réforme anglicane et l'interdiction des images religieuses condamnent cette activité. Beaucoup d’œuvres exposées dans les lieux de culte furent alors détruites, d'autres furent cachées.
Au XIXe siècle, les recherches des collectionneurs permirent d'en retrouver de nombreux témoignages. Le musée Victoria et Albert de Londres en conserve une magnifique et abondante collection.
Le style très animé et l'éclat de la polychromie, mais aussi le prix assez faible de ces objets de dévotion avaient assuré leur succès dans toute l'Europe du XIVe au XVIe siècles. Leur transport était facile car chaque scène était sculptée sur un panneau indépendant dont les dimensions, en hauteur comme en largeur, dépassaient rarement 35 à 50 cm, elles pouvaient être exposées seules ou assemblées en retables. C'est pourquoi on en trouve également de nombreux exemplaires dans tous les musées français.
Ci- contre en haut, un des premiers reliefs connus est une Adoration des Mages, provenant du Suffolk. Dès le début de la production, les fonds comme les personnages
étaient peints à l'exclusion des visages divins et chrétiens.
La seconde photo montre un exemple exceptionnel de 10 panneaux d'albâtre sur deux niveaux, racontant la passion du Christ. Commandé en Angleterre (Nottingham ?) pour une église.
Au-dessous, un exemple de panneau présenté seul dans un retable à volets peints, probablement destiné à une dévotion privée. Conservé au musée de Glasgow.
Les albâtres d'Abbeville
La conférencière montre que plusieurs fragments de la collection illustrent la passion du Christ. C'était l'un des principaux thèmes de la production de ces petits panneaux de Nottingham. Les autres thèmes fréquents étaient la vie de la Vierge ou la légende dorée des Saints.
On retrouve des centaines de pièces presque identiques mais jamais complètement. Les tailleurs sont en effet obligés de tailler chaque plaque individuellement d'après un modèle probablement gravé ou peint. Selon le prix proposé, la sculpture était plus ou moins raffinée, les personnages plus ou moins nombreux. De même, la couleur et le décor étaient plus ou moins riches et précieux en fonction des moyens du commanditaire.
Les albâtres de la passion du Christ
La comparaison de nos fragments (photos ci-dessus) avec le retable bien conservé de l'église Saint-Martin de Nailloux (photo ci-dessous), permet de bien comprendre l'agencement des plaques et le sens des épisodes illustrés. Elle met également en évidence les points communs et les variantes dans la réalisation du sujet, en particulier pour les personnages secondaires.
Nous ignorons la date et la provenance de chacun de nos fragments, ce ne sont pas les morceaux d'un même retable.
Mme Barragué nous propose de les observer en suivant le récit chronologique de la passion du Christ. De gauche à droite :
* Le baiser de Judas : Judas s'approche du Christ pour le désigner aux soldats qui l'entourent. A gauche Pierre saisit son épée. Une centaine d'albâtres représentant l'arrestation du Christ sont répertoriés.
* La flagellation. Notez ici la finesse des bras du Christ littéralement fondus sous l'effet de l'humidité.
* Deux soldats. Probablement un fragment d'une trahison de Judas.
* La mise au tombeau est l'un des plus beaux fragments de la collection. Notez en bas à gauche, Marie-Madeleine, elle nettoie les plaies de Jésus d'une mèche de ses longs cheveux dénoués, geste qu'elle ébauche sur le retable de Nailloux.
* La résurrection. Scène qui présente à Abbeville une particularité assez rare, le soldat allongé devant le tombeau est ici représenté couché sur le ventre, alors qu'il est généralement face levée vers le ressuscité comme on le voit ci-dessus. Cette plaque est d'un travail assez virtuose qui se remarque en particulier au niveau des jambes des personnages, les ombres font deviner qu'elles sont en "haut relief", détachées du fond.
NB. Il est possible de remarquer les signes particuliers qui distinguent les partisans du Christ de ses adversaires. Par exemple les formes différentes des épées, celle de l'apôtre Pierre est droite, celle du soldat est courbe comme celle des "païens".
Sur les albâtres bien conservés les visages des ennemis du Christ sont teintés alors que ceux du Christ et de ses proches restent naturels.
La similitude de la mise en scène des épisodes de la passion du Christ dans tous les retables montre l'origine commune de ces figurations.
Les albâtres divers
Un de nos reliefs (photo de gauche) provient d'un retable de la vie de la Vierge, autre thème de prédilection des artisans de l'albâtre.
Notre fragment est très abimé mais on distingue qu'il illustre deux épisodes bien connus, synthétisés dans une seule image : l'Assomption et le Couronnement.
La Vierge monte au ciel au centre d'une mandorle (sorte de nimbe ovale en forme d'amande). A ses pieds, St Thomas recueille sa ceinture qui s'est détachée, comme preuve du miracle.
Marie porte déjà une couronne et la main de Dieu apparaît avec un geste de bénédiction symbolisant la scène du couronnement. Un ange musicien se devine en haut à gauche.
Un apôtre porte un livre.
Le livre est un attribut qui désigne tous les apôtres, un deuxième attribut serait nécessaire pour une identification exacte. Il pourrait s'agir de Saint Jacques le mineur.
En haut à gauche nous devinons l'extrémité du dais qui le surmontait. Des restes de polychromie sont bien visibles sur la cape et le fond.
Tête de saint Jean Baptiste,
Très érodée par l'humidité, elle est présentée entre trois saints.
A gauche, Sainte Catherine avec la roue de son supplice et à droite, Sainte Marguerite avec le dragon à ses pieds. Cette sainte était réputée avoir vaincu un dragon.
Sous le chef de Jean-Baptiste, un roi, peut-être Édouard le confesseur canonisé en 1161.
Le martyre de Saint Laurent est plus belle pièce de la collection.
On ne connait que 6 exemplaires de cette scène. Il s'agit donc d'une pièce assez rare. Ce sujet est apparemment le seul épisode représenté de la vie du saint. On peut supposer que le relief était destiné, comme le "chef de Saint Jean-Baptiste", à une dévotion personnelle.
Malgré le fond brisé et une légère érosion due à l'humidité, les détails sont bien visibles et la scène très animée.
Le saint a un air très serein, en référence sans doute à la légende qui prétend qu'après avoir subi quelque temps le supplice, il demanda à ses bourreaux de le retourner car il se trouvait assez cuit côté dos. En haut la main de Dieu bénit le courageux martyr.
Il subsiste de nombreuses traces de polychromie, surtout en partie inférieure. Observez ci-dessous les flammes rouges, l'herbe verte piquée de pâquerettes. La scène est très savoureuse, d'un côté un valet s'escrime à activer le feu, son acolyte se plaint d'être incommodé par la fumée.
Ci-dessous, une sélection de détails. Cliquez sur une photo pour l'agrandir.
- des exemples de polychromie, notez l'emploi de l'or sur les cheveux et les barbes, ainsi que sur les fonds.
- des vues de profil montrent que les plaques sont assez peu épaisses. Les personnages étant sculptés en relief profond, l'arrière plan est très fin et donc très fragile.
- malgré l'usure des reliefs, la finesse de la sculpture reste remarquable.
Voir toutes les photos sur le tableau Pinterest du Musée.
Voir la collection du Victoria et Albert Museum de Londres.