Un tableau vu au musée d'Arras
lors de notre dernière journée culturelle

"Le fanatisme est un monstre qui ose se dire fils de la religion"
Voltaire
Lors de notre visite du musée des Beaux-Arts d'Arras le 10 octobre dernier, j'avais remarqué cette toile d'Auguste-Barthélémy Glaize dont le titre est
"Le spectacle de la folie humaine".
Le peintre y stigmatise les horreurs perpétrées par les hommes depuis la nuit des temps, au nom de leur idée d'un dieu,
d'une religion, d'un régime politique...
Une dame de 87 ans m'a dit que les reportages de ces derniers jours sur les attentats
à Paris lui ont douloureusement rappelé ce qu'elle a vécu à 12 ans, quotidiennement. Pendant les combats et les bombardements qui se sont succédés de 1940 à 1945, sont tombés de nombreux
civils innocents, dont son frère de 17 ans sur un trottoir de Boulogne-sur-mer. Il allait simplement faire une course.
J'ai repensé à ce tableau...
Il ne peut nous échapper que le peintre a réalisé cette toile en 1872, année qui a suivi la guerre franco-prussienne de 1870 et la Commune de Paris en 1871, avec l'épisode de la "semaine sanglante" de mai.
Mais son propos ne s'attache pas spécialement à ces événements, il les dépasse en les situant dans une interminable cohorte de tragédies. Passées et à venir. C'est sans illusion et avec une "amère ironie" qu'il nous annonce dans l'encadré de gauche, sous une grande palme de martyr, que d'autres massacres seront toujours à venir...
La mise en scène, au sens propre, vous paraît ampoulée, absurdement caricaturale ? un siècle et demi plus tard, elle manque certes de subtilité à nos yeux, mais elle me semble révélatrice du dessein profond de l'artiste. Il souligne ici la grandiloquence des discours, la recherche du macabre spectaculaire, l'insupportable vanité des intégrismes. L'histrion qui nous lève le rideau rouge sur de flamboyantes scènes d'horreur dénonce non seulement le fanatisme mais aussi la tartuferie des fanatiques. Leurs prétendus idéaux ne seraient-ils pas en réalité le masque d'un besoin psychopathologique de notoriété et du désir d'asservir leur entourage par la terreur ?
Le peintre lui-même ne s'épargne pas. Il fait son autoportrait en "M. Loyal", présentateur du spectacle de la folie humaine, comédien tirant profit des malheurs de l'humanité. Complaisance ? Cynisme ? Conscience désabusée de l'inanité de son rôle ? Quoiqu'il en soit, l'artiste ne détruit pas, il crée ; il ne donne à voir que si nous voulons bien regarder, et à réfléchir que si le cœur nous en dit ; il ne nous oblige pas à révérer son œuvre ni même à penser comme lui. Il respecte notre liberté.
JH
Ci-dessous, in extenso, la description du tableau par un critique de l'époque de Glaize.
Jules Claretie - Peintres et sculpteurs contemporains - Charpentier et Cie 1874, pp 201-202
(livre disponible sur BNF Gallica)
Auguste Glaize, dont les tendances ont toujours été celles d'un philosophe et d'un moraliste, a donné, cette année, comme un pendant de moindres proportions à ce Pilori où il clouait, devant la misère et la sottise, tous les grands génies de l'humanité(...)
Un homme à barbe grise, d'aspect robuste, narquois et bon à la fois (c'est M. Glaize lui-même), est placé, à droite, sur le devant du tableau et indique du geste une sorte de fresque ou de tapisserie divisée en quatre compartiments, qui court le long de la toile, dans le fond.
Cette espèce de fresque représente, depuis le commencement des siècles, le lamentable spectacle des tueries humaines. Le sang coule, les gens s'égorgent, les
enfants sont tués sur le sein des mères.

Voici les massacres odieux de la Bible, le peuple du Seigneur mettant à mort ses ennemis; voici les chrétiens persécutés, décollés, menés au Calvaire; voici les huguenots qu'on pend, qu'on écartèle et qu'on brûle; plus loin, des condamnés sont menés à la guillotine.
L'affiche placée à gauche de ce Spectacle de la folie humaine dit ironiquement : "Incessamment de nouveaux tableaux. "
L'idée à la fois bizarre et superbe d'un tel tableau est évidemment saisissante, et s'imposerait par sa seule valeur; mais le peintre en a fait, non seulement une page de philosophie amèrement ironique, mais encore une remarquable œuvre d'art.
Comme le montreur de spectacles, en son habit de velours noir, avec sa fraise au col, taillée sur la coupe d'un Crispin ou d'un Gille, se détache du fond de la toile !
Comme son visage, ses yeux, sa bouche sont vivants et parlants !
Et la fresque elle-même, de quel pinceau correct et mâle elle est traitée ! Chacune de ces œuvres de massacre est une composition qui mériterait d'être, telle
quelle, transportée sur quelque muraille. C'est de l'art grand et fier. Ces soldats égorgeurs, ces groupes de martyrs ont des attitudes sculpturales; ces pendaisons et ces estrapades font
vraiment naître l'effroi. Et de telles scènes, si bien agencées, si cruelles, se détachent, nettes et vives, sur des ciels empourprés ou d'un rose sanguinolent qui ajoutent encore à l'impression
du spectateur et témoignent de la vigueur de l'artiste. Il fait bon de rencontrer des peintures qui crèvent le cadre ordinaire des tableautins à la mode. La Folie humaine est de celles-là.