La gravure à Abbeville
S’il fut une activité artistique dans laquelle la ville d’Abbeville acquit une grande renommée, il s’agit sans conteste de la gravure. En effet, selon un recensement effectué à la fin du XVIIIe siècle, la cité du Ponthieu se situe au troisième rang français quant au nombre de graveurs illustres, devancée seulement par Paris et Lyon. Le terme d’« école abbevilloise » est même alors employé.
Aujourd’hui largement oublié, ce phénomène mérite d’être questionné afin d’établir les motifs ayant favorisé un tel épanouissement. La personnalité de Claude Mellan (1598-1688) a joué sans conteste un rôle de formidable initiateur. Comptant parmi les plus importants artistes de son temps, il se caractérise par une exceptionnelle maîtrise technique. Par un simple réseau de lignes parallèles plus ou moins profondément marquées au burin dans la plaque de cuivre, il réussit à créer le modelé. Sa réalisation la plus célèbre, la Sainte Face de 1649, dont le musée conserve plusieurs exemplaires, atteint le plus haut degré de virtuosité en étant créée à partir d’une seule ligne en spirale continue.
Même s’il quitte Abbeville très tôt et ne garde avec la cité que des rapports lointains, la renommée de Mellan est largement connue de ses compatriotes, qui le citent dans des écrits contemporains. Quelques amateurs réunissent des séries de ses estampes. Une peinture référencée sous son nom se trouvait même dans une chapelle de la collégiale Saint-Vulfran avant la Révolution.
Ce succès a valeur d’exemple : les jeunes Abbevillois doués pour le dessin sont désormais envoyés en formation chez des graveurs installés à Paris. Devenus maîtres à leur tour, ils font venir dans leur atelier d’autres jeunes gens issus de leur cité, créant ainsi une tradition locale. Plusieurs d’entre eux sont même à l’origine de véritables dynasties de graveurs (les de Poilly, les Beauvarlet, les Danzel).
Le flambeau de Mellan est repris par François de Poilly, graveur ordinaire de Louis XIV, issu d’une famille d’orfèvres, qui à son tour s’impose sur la scène artistique parisienne comme l’un des créateurs majeurs de son temps dans ce domaine. Il se fait l’interprète privilégié des compositions de Nicolas Poussin, Charles Le Brun ou Pierre Mignard.
Le XVIIIe siècle connaît l’émergence d’une génération exceptionnelle, qui, autour de Jean Daullé, Jacques Aliamet et Jacques-Firmin Beauvarlet, tous membres de l’Académie Royale, diffuse les compositions de François Boucher, Joseph Vernet et des artistes hollandais du siècle précédent. Les graveurs abbevillois n’ont alors jamais été aussi nombreux sur le devant de la scène et leur production est largement répandue à travers l’Europe.
Le XIXe siècle connaît les derniers feux de cette tradition. Augustin Bridoux remporte ainsi le Grand Prix de Rome de gravure en 1834, tandis qu’Auguste Bouquet lithographie des peintures exposées au Salon pour la revue L’artiste et caricature avec un regard caustique le régime de Louis-Philippe pour les journaux satiriques La caricature et Le charivari de Charles Philippon, auxquels collabore également Honoré Daumier.
Si le XXe siècle connaît un nombre bien moindre de graveurs, il est sans conteste un artiste originaire de l’Abbevillois qui s’impose par ses créations dans ce domaine : Alfred Manessier apparaît comme un héritier, pratiquant cet art, principalement la lithographie, tout au long de sa carrière en dialogue avec sa peinture.
Petit précis technique : Deux techniques sont principalement utilisées par les graveurs abbevillois : la gravure en taille douce sur cuivre : une plaque de cuivre polie est gravée en creux, puis encrée pour reproduire le motif sur le papier. L’artiste peut utiliser le burin (outil d’acier à pointe carrée ou triangulaire) ou la pointe sèche (stylet d’acier), créant des sillons qui seront encrés. Il peut aussi pratiquer l’eau-forte : il grave alors avec une pointe sur une plaque recouverte de vernis, plongée ensuite dans l’acide nitrique et encrée. la lithographie : plus proche du dessin, ce procédé inventé en 1799 permet de dessiner avec un crayon gras sur une pierre. Lorsqu’elle est encrée, seules les zones recouvertes de crayon ne l’absorbent pas et permettent de reproduire le motif sur le papier.
Source : Stéphane Paccoud, conservateur du Patrimoine
Les graveurs abbevillois
-
Claude Mellan (1598-1688)
-
Jean Lenfant (1615-1674)
-
François I de Poilly (1623-1696)
-
Nicolas I de Poilly (1627-1696)
-
François II de Poilly (1666-1741)
-
Jean-Baptiste de Poilly (1669-1728)
-
Nicolas II de Poilly (1675-1747)
-
Nicolas-Jean-Baptiste de Poilly (1707-1780)
-
Gilbert Filloeul (1644-1697)
-
Jean-Charles Flipart (1684-1751)
-
Jean Daullé (1703-1763)
-
Jacques Aliamet (1726-1788)
-
Jacques-Firmin Beauvarlet (1731-1797)
-
Jean-Charles Levasseur (1734-1816)
-
Eustache Danzel (1735-1775)
-
Louis Dennel (1741-1806)
-
Victor-Marie Picot (1744-1805)
-
François Hubert (1744-1809)
-
François Dequevauviller (1745-1807)
-
Jean-Marie Delatre (1746-1840)
-
Charles-François-Adrien Macret (1751-1789)
-
Jean-César Macret (1768- ?)
-
Pierre-Jean-Baptiste Choquet (1774-1824)
-
Gabriel-Louis Lestudier-Lacour (1800-1849)
-
Auguste Bouquet (1810-1846)
-
Augustin Bridoux (1813-1892)
-
Emile Rousseaux (1831-1874)
-
Alfred Broquelet (1861-1957)
-
Jean Sgard (1891-1966)
- Alfred Manessier (1911-1993)
Source : Stéphane Paccoud, conservateur du Patrimoine
Claude Mellan a gravé plusieurs scènes religieuses dont une célèbre « Sainte Face du Christ sur le voile de Véronique » réalisée par une taille unique en spirale qui, par ses épaississements, crée l’image. Ce dessin est considéré comme le chef-d'œuvre de Mellan.
(source Wikipédia)